Le boisé du Domaine Saint-Paul est malheureusement menacé par l’agrile du frêne, les changements climatiques et les plantes exotiques envahissantes. La repousse des jeunes arbres ne s’y porte pas bien, selon le Service des grands parcs de la Ville de Montréal. En termes clairs, les jeunes arbres sont actuellement asphyxiés par les inondations, ce boisé est malade et pourrait dépérir.
Près de mille frênes seront coupés dans le boisé l’hiver prochain. C’est la décision prise par le Service des grands parcs pour tenter de limiter les dégâts. Les arbres à couper devaient être marqués en septembre, mais l'opération accuse du retard.
Nous avons passé une partie de l’été à consulter des biologistes (universitaires et chercheurs) pour tenter de savoir si cette décision de la Ville est la bonne. La réponse que nous avons obtenue c’est oui, mais à plusieurs conditions. Il faut ajouter que, quelle que soit l’approche choisie, les résultats ne sont pas garantis.
Parallèlement, l’arrondissement de Verdun a répondu à nos demandes et publié plus d’informations sur ses intentions, le 11 août. La publication de l'arrondissement se trouve ici.
La Ville coupera donc en janvier prochain tous les frênes morts ou malades de plus de 15 cm de diamètre, situés à moins de 25 mètres d’un sentier ou de la périphérie. Après cette opération, il restera encore 1000 frênes debout, en très grande majorité de très jeunes arbres. Cette opération a été approuvée par le ministère de l'environnement qui détient une servitude de conservation sur le Domaine Saint-Paul.
Selon les biologistes consultés, un des avantages de cette façon de procéder rapidement dès que les arbres sont atteints, plutôt que petit à petit, c’est de permettre aux émondeurs de grimper dans les arbres sans risquer de tomber à cause d’une branche pourrie. Cela permet de couper en douceur une branche à la fois sans blesser les autres arbres matures des environs et sans utiliser de machinerie trop lourde qui risquerait de faire des dommages aux jeunes pousses et aux racines.
L'autre avantage, c'est d'éviter que trop de troncs morts se retrouvent empilés au sol en même temps et étouffent encore plus les jeunes arbres qui peinent à pousser.
Le bois coupé sera en grande partie évacué de la forêt et une certaine quantité des agriles avec lui. Le ministère de l'environnement exige tout de même qu'un certain nombre de troncs morts restent sur place pour nourrir le sol et abriter la faune. Deux biologistes suggèrent qu’il serait avisé de déchiqueter l’enveloppe extérieure des arbres, contenant l’agile, pour laisser sur place seulement le cœur des arbres.
Un des grands dangers actuels, ce sont les plantes envahissantes comme le fameux nerprun qui sont très rapides à coloniser les clairières ou les espaces découverts créés par les coupes ou les défoliations. La défoliation des frênes est déjà très visible dans le boisé. Le nerprun pousse très vite et son feuillage dense bloque la lumière à toutes les jeunes pousses d’arbres. Plus de détail sur ce site d’Arbres Canada. Cette plante déjà présente dans le boisé est très difficile à contrôler. Si on la laisse faire, le boisé pourrait devenir une zone arbustive.
Quel que soit le choix d’intervention (coupe graduelle ou rapide), l’infestation est si avancée que les arbres mourront rapidement de toute façon et que des clairières invitantes pour le nerprun seront formées.
Vaste programme et grand défi !
Pour combattre le nerprun et aider la forêt à se régénérer, plusieurs actions sont nécessaires. Les conseils qui suivent sont un condensé des recommandations que nous avons reçues :
Couper en hiver. C'est ce qui est prévu.
Sortir les parties malades des arbres coupés en laissant sur place le cœur d’une partie des arbres. Cette technique ne semble pas faire partie des plans.
Prendre garde de ne pas empiler le bois mort sur les sites des plantes rares printanières. On nous dit qu'un recensement des plantes rares a été fait.
Planter des arbres indigènes d’espèces raréfiées et variées adaptées aux milieux humides (orme liège ou orme de Thomas, chêne bicolore, caryer ovale). Pour le moment, la Ville parle plutôt de se limiter aux espèces déjà présentes dans le boisé.
D’autres espèces moins résistantes aux inondations (micocoulier, érable noir) pourraient être plantées sur monticule. La plantation sur monticule ne semble pas prévue.
Planter des arbres d’un mètre et demi à 3 mètres de hauteur à la main et à la pelle, à l’automne, pour éviter de piétiner les plantes rares printanières. La Ville semble privilégier des arbres plus petits.
Surveiller les plantations de près et arroser en cas de sécheresse.
Arracher le nerprun pendant plusieurs années jusqu’à ce que les nouvelles pousses d'arbres réussissent à le dominer. Les réponses de la Ville à ce sujet mentionnent un ajustement au fur et à mesure.
Un débat scientifique
Ces techniques interventionnistes en zone protégée ne font pas l’unanimité et font l’objet de débats de spécialistes partout dans le monde. Les chercheurs québécois et canadiens ne les préconisent pas pour les grandes forêts. Toutefois, il semble qu’une majorité croissante constate que devant la pression des inondations et des sécheresses prolongées, des insectes ravageurs et des espèces végétales envahissantes, les petits boisés urbains sont beaucoup plus menacés et ont besoin d’aide. Ces chercheurs estiment que si on coupe de façon plus graduelle, les coupes seront plus brutales et nécessiteront plus de machinerie, la lutte contre les plantes arbustives envahissantes sera plus difficile et la repousse des jeunes arbres incertaine. Une autre option, encore plus fidèle aux pratiques traditionnellement recommandées pour les aires protégées, serait de ne rien faire du tout. Elle pourrait impliquer la fermeture de la forêt aux piétons pour plusieurs années et n’améliorerait en rien les chances de régénération du boisé.
La volonté politique
La grande question, c’est de savoir si la Ville pourra investir les efforts et l’argent nécessaires à la replantation d’espèces raréfiées, au suivi des nouvelles plantations et à la lutte contre le nerprun et autres espèces envahissantes. Dans un texte publié le 11 août, l’arrondissement annonce qu’il y aura des plantations d’arbres identiques à ceux qui ont toujours habité la forêt pour ne pas en changer l’écosystème. Il y a peut-être matière à discussion ici. Il reste aussi à voir quelle taille auront les nouvelles plantations et de quelle façon elles seront entretenues.
La faune
Bien sûr la disparition de mille arbres en un seul hiver va exercer une grande pression sur la faune, surtout sur les oiseaux. Il faudrait tenter de protéger certains arbres qui sont habités par des oiseaux résidents à l’année comme les petits ducs. Cette recommandation a été suivie par la Ville et un recensement des nids a eu lieu. Pour les autres oiseaux, il semble qu’il n’y a pas grand-chose à faire. Certains risquent de devoir aller nicher ailleurs et on ne peut qu’espérer qu’ils reviendront quand le boisé prendra du mieux. Les animaux qui vivent au sol devraient mieux s’en tirer.
La lutte biologique
Quel sera le sort des jeunes frênes laissés sur place ? Des guêpes parasites de l’agrile du frêne ont été lâchées par vagues dans les villes du Québec et d’autres provinces depuis 2015. Apparemment ces guêpes minuscules réussissent mieux à percer l’écorce plus tendre des jeunes frênes pour aller parasiter la larve de l’agrile. Il semble qu’on trouve de ces guêpes à L’Île-des-Sœurs, mais nous n’avons pas de confirmation officielle qu’elles aient réussi à s’y reproduire. Même si ces guêpes sont actives, ce ne sont toutefois pas des baguettes magiques. On nous dit qu'elles peuvent aider à diminuer la pression sur les jeunes frênes et leur permettre d'atteindre une certaine taille. Des chercheurs ont aussi mis au point un piège qui contamine l’agrile avec un champignon. Ce piège pourrait-il être utile dans un boisé à un coût raisonnable ? Ça reste à voir.
Mis à jour le 22 octobre 2024
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